Le réfugié

Dans le Criton, un dialogue de Platon où Socrate, condamné à mort, refuse de fuir la prison et explique que se soustraire au jugement du tribunal d’Athènes reviendrait à enfreindre la justice de la Cité et donc à devenir un hors la loi, non seulement à Athènes...

Dans le Criton, un dialogue de Platon où Socrate, condamné à mort, refuse de fuir la prison et explique que se soustraire au jugement du tribunal d’Athènes reviendrait à enfreindre la justice de la Cité et donc à devenir un hors la loi, non seulement à Athènes, mais aussi ailleurs, partout où il chercherait la protection d’une cité civilisée. Si Socrate refuse d’offenser les lois c’est qu’elles contraignent les citoyens de la même manière que les parents obligent les enfants. Il y a un lien filial entre la Cité et le citoyen, lien que l’exil peut rompre, mais qu’il ne permet pas de réparer dans quel qu’endroit que ce soit.

Pourtant l’exil évoque le refuge, endroit où la loi donne un statut légal au fugitif, où par exemple Socrate aurait pu trouver un place et un abri. Pourtant, aujourd’hui c’est chez nous que se manifeste ce refus d’accueillir le réfugié et que nous infligeons au « sans papier » la mort sociale, ultime sanction qu’une société puisse appliquer à un homme déchu du statut de citoyen.

Le véritable châtiment est donc non pas d’être chassé de chez soi, mais d’être sans refuge, contraint de parcourir le monde sans cesse : c’est ainsi que le mythe décrit le Juif errant comme un voyageur qui n’aurait pas de terme à son voyage : condamné, nous dit l’Évangile, à parcourir inlassablement le monde pour avoir refusé un instant de repos au Christ portant sa croix, il est un symbole de cette malédiction que constitue le fait de n’avoir aucune terre d’accueil.

Reste qu’aujourd’hui le Juif errant serait aussi bien sédentaire mais dans un monde inhabitable parce qu’en constant changement. Si nos repères disparaissent au profit d’autres, et que rien de ce que nous avons appris autrefois ne reste utile pour vivre, ne serions-nous pas condamnés à vivre en constante instabilité, obligés de nous adapter à un environnement qui ne restera pas ? Cette désadaptation qui ferait du Juif errant un perpétuel étranger n’est-elle pas aussi le symbole de ces étrangers dont nous voulons bloquer l’arrivée par n’importe quel moyen, y compris l’interdiction de débarquer de leurs canots pneumatiques ?

JP Hamel in la Feuille du philosophe Novembre 2024

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