« On n’ veut pas de ça chez nous »
Lily arrive des Somalies dans un bateau plein d’émigrés qui viennent tous de leur plein gré vider les poubelles à Paris ou ailleurs. Cherchant un hôtel où se loger, elle s’arrête rue Secrétan devant un édifice minable qui lui répond « qu’ici, on n’est pas raciste pour deux sous, mais qu’on ne veut pas de ça chez nous ». Qu'est-ce à dire ? Au premier chef, ce qui frappe, c’est la distorsion entre d’une part une opinion louable, « nous ne sommes pas racistes », tout de suite assortie d’une réserve introduite par « mais », « mais nous ne voulons pas de ça chez nous ». Ça, pronom démonstratif neutre, désignant ici un être humain.
MAIS. En employant mais le locuteur réfute la proposition précédente en la remplaçant par une autre. Il déclare ne pas établir de hiérarchie entre les « races » pour être contredit par ses pratiques d'accueil sélectives. Un manque de cohérence ? Pas du tout. Il s’agit d’un « en même temps » soutenable, car les choses y sont traitées à des niveaux différents. Je peux déclarer ubi et orbi, absolument, que je ne suis pas raciste et dans certaines situations l’être tout à fait ou pas. Dans le film La crise, Patrick Timsit est soupçonné de racisme par le député socialiste bien pensant. Timsit rétorque « pas du tout. » Certes, il l’est avec les arabes de la tour B, mais en sympathie avec ceux de la tour A dite Les Coquelicots. C'est selon.
NOUS. « On ne veut pas de ça chez nous », par « nous » l’aubergiste se désigne comme la référence stable et permanente, point de départ de l’addition de sa première personne à d’autres personnes ; ces personnes qu’il associe à lui sont, dans son esprit, déterminées individuellement ou collectivement ; elles ne sont pas nécessairement présentes, mais toutes sont concernées au même titre que lui-même. De là, de son "nous", il peut écarter celles et ceux qui ne lui ressemblent pas.
Selon Carl Schmitt, juriste et philosophe allemand (1888 – 1985), raciste et antisémite, ce qui constitue le politique comme tel est la distinction de l’ami et de l’ennemi, ennemi qu’il est permis et juste d’assujettir ou de détruire. L’ami se saisit dans le « nous », l’ennemi dans le « eux ». L’ordre n’est établi que lorsque se maintient fortement la distinction et la tension entre ami et ennemi.
Didier Martz