Avec le Salon de l’Auto, le recours à la nostalgie est la ressource commerciale ultime : en témoigne Renault qui met en circulation une R5 électrique et pardessus le marché une R4 également électrique. Mais en regardant ces productions on va dire que le compte n’y est pas : voyez plutôt ces photos prises au salon !
Pas de quoi émouvoir, n’est-ce pas ? Mais ce n’est pas seulement parce que les formes ont changé et qu’elles ne coïncident pas avec nos sensations d’il y a 40 ou 50 ans. Ce dont je parle trouve son expression la plus nette dans le Salon, qui ouvre justement aujourd’hui.
Mon souvenir d’enfance du salon de l’auto remonte aux années 50-60, soit à une époque où l’automobile était un objet de convoitise qu’on n’imagine plus. La visite du salon était une sorte de spectacle quasi orgasmique (un orgasme offert même aux enfants, il faudra réfléchir à ça un jour) : certains de ces modèles étaient si luxueux qu’on n’avait aucun espoir de ne jamais monter dedans : mais la mise en scène qui les présentait faisait de ces carrosseries et de ces chromes des images propres à alimenter nos rêves – et pour cela nul besoin des appâts de pin-up ! C’est que les voitures présentées au désir des visiteurs avaient une valeur aphrodisiaque confinant au fantasme, et comme on le sait, le fantasme a besoins d’une image qui soit à distance pour ne pas se confondre au réel, mais aussi assez évocatrice pour y ressembler.D’ailleurs on ne faisait pas mystère du désir masculin de voiture y compris dans les scènes d'amour. Regardez cette pub BMW des années 80.
Comparez donc cette pub BMW avec les images Renault ci-dessus : y a-t-il quoique ce soit qui éveille le désir chez vous ? Ces formes ces couleurs, cette absence de chrome (Ah ! La hiérarchie des chromes : elle est bien oubliée aujourd’hui !) … On me dira que le rêve est dans le bruit – ou plutôt son absence de bruit du moteur électrique : démarrer dans un glissement qui évoque la puissance retenue, le contrôle absolu de la machine… Mais quelle aberration ! Ce qu’on aime, c’est le moteur qui résonne avec un bruit caverneux qui vous déchire le tympan à la moindre accélération. Vroum-vroum !
1 De Didier MARTZ -
Pour Roland Barthes "La nouvelle Citroën tombe manifestement du ciel, dans la mesure où elle se présente d'abord comme un objet superlatif." Par ses lignes et son futurisme, il l'assimile au Nautilus de Jules Verne, rien de moins ! Puis, il s'attarde sur le caractère ambivalent de ce vaisseau du bitume. Elle est lisse, mais aussi le résultat d'éléments juxtaposés, comme un puzzle : "La DS 19 ne prétend pas au pur nappé, pourtant, ce sont les emboîtements de ses plans qui intéressent le plus le public." Barthes reste toujours proche des émotions ; il insiste sur la sensualité toute métallique que dégage cette automobile et incite à toucher ce vaisseau : "On tâte furieusement la jonction des vitres, on passe les mains dans les larges rigoles de caoutchouc qui relient la fenêtre arrière à ses entours de Nickel." Il la connaît par cœur, cette DS 19.
Avec la DS, la voiture devient spirituelle et objective
Roland Barthes voit dans cette voiture un "art humanisé" et un changement dans la mythologie automobile. Lisons-le encore : "Jusqu'à présent, la voiture superlative tenait plutôt du bestiaire de la puissance ; elle devient ici à la fois plus spirituelle et plus objective… la voici plus ménagère, mieux accordée à cette sublimation de l'ustensilité que l'on retrouve dans nos arts ménagers contemporains…". Voilà une voiture qui entre de plain-pied dans la modernité, c'est en cela qu'elle est devenue mythique. Barthes nous parle de la DS sous bien d'autres aspects encore : vitesse, surface vitrée importante, notamment. Si vous souhaitez en savoir plus, reportez-vous à Mythologies, collection Points essais, au Seuil