L'allégorie de la caverne : la face cachée
L'allégorie de la caverne telle que décrite ici-même dans l'article de Jean-Pierre Hamel, est l'histoire d'hommes enfermés dans une caverne et dans leurs illusions et que l'on va tenter de libérer, et de l'une et des autres. Elle est le symbole de l'émancipation. Sortir de la caverne, c'est sortir de l'obscurité, de l'obscurantisme pour aller vers la lumière symbole de la vérité. Quitter ses illusions, ses préjugés, ses idées reçues et arrêtées, tel est le projet de toute émancipation et de toute éducation. De l'instituteur qui institue, du formateur qui forme, du politique qui politise au militant qui éclaire, toute la société converge vers cet objectif et on peut le dire vers cet idéal. Qui pourrait aller contre ? Surout s'il y va de notre salut.
La religion chrétienne reprit le flambeau allumé par Platon. Les lumières y furent plus divines que rationnelles, mais le schéma reste le même : se libérer des entraves qui empêchent l'âme de s'élever. Au bout et en prime, un état bienheureux, la béatitude disent en choeur le prêtre et le philosophe. A la Renaissance s'ouvrent le siècle et les siècles des Lumières. Le tour, de philosophique et religieux, devient politique. Et aujourd'hui, partout, il faut s'émanciper, penser par soi-même dit le philosophe Kant. Sur les pancartes s'affichent "émancipation", "éducation", "autonomie", "liberté". Il faut s'émanciper ou bien, s'il le faut, on émancipera.
Dans ce modèle, il faut supposer qu'il y a d'un côté des masses ignares et ignorantes et de l'autre quelques individus choisis chargés de les sortir de leur crasse. Au passage, on peut se demander comment il se fait que dans la caverne un individu comme les autres puissent décider de sortir et d'aller à l'extérieur. On supposera que parmi eux il y avait des élus dont la destinée était déjà tracée. Ce modèle a sa version néolibérale. D'un côté des experts ou des cabinets de conseil type McKinsey; de l'autre des masses incapables d'évoluer et de s'adapter aux changements nécessaires de la mondialisation. Le mot d'ordre est qu'il "il faut s'adapter" (Barbara Stiegler). En douceur, on fabriquera démocratiquement le consentement sinon on peut avoir recours à des formes plus autoritaires. Dans les écoles se reproduit le même schéma. L'un sait, les autres ne savent pas et celui qui sait a à sa disposition un éventail de stratégies pédagogiques pour parvenir à ses fins.
En y regardant de près, toute démarche émancipatrice bâtie sur l'allégorie de la caverne est "en même temps" nihiliste. Pour élever (élève) un individu, il faut qu'il se dépouille. De ses illusions, de ses opinions fausses, de ses croyances, de ses superstitions. Il faut aussi qu'il se contrôle, contrôle ses passions et leur faire rendre raison. Il faut qu'il se dépouille de ce qui fait la vie si l'on y regarde de près, la vie ordinaire. On comprend alors que ça puisse résister. C'est ce qui arriva à l'homme de Platon lorsqu'il s'avisa de redescendre dans la Caverne pour annoncer la bonne nouvelle à ses congénères. "Vous êtes dans l'erreur depuis fort longtemps, je viens vous annoncer la bonne nouvelle : je détiens la vérité ." Il fut fort mal reçu bien qu'il jura que c'était pour leur bien.
Faut-il renoncer à émanciper ? Certes non. Mais sous la forme caverneuse, il faut s'attendre à des échecs. Des peuples très éduqués, très émancipés avec leurs philosphes et intellectuels de toutes sortes en tête, ont su commettre les pires exactions. C'est la part d'ombre des Lumières. Il faut avoir à l'esprit dans l'invention du bateau est présent virtuellement son naufrage. S'émanciper, se libérer c'est "quelque part" (sic) s'assujettir. Les grenouilles de La fontaine voulaient un roi, se libérèrent et se trouvèrent (sub-juguées) volontairement un nouveau joug. On appela cela la servitude volontaire, à l'insu du plein gré des grenouilles.
Ou alors sortir du schéma platonicien et néolibéral. Il n'y a pas de masses ignorantes ou si elles le sont c'est que c'est la société les a rendu telles dans son projet émancipateur (ce qu'aurait pu dire Jean-Jacques Rousseau : la société pervertit la bonne nature de l'homme. Pas plus, il n'y a de sachants sachant sacher. Le maître est ignorant (Jacques Rancière). Et il n'y a d'intelligence que bâtie collectivement, en réunion, démocratique donc. Hors la caverne et ses écrans qui visent à séparer les individus entre eux, les empêcher d'être intelligent.