Dossier de presse Pourquoi cette conférence : Mourir en France... aujourd’hui L'association JALMALV-Marne est depuis sa création au plus près de l'accompagnement de la fin de vie, partenaire des équipes de soins palliatifs auxquelles elle adosse son activité de "soin non médical". Les questionnements de la société de plus en plus insistants, les débats actuels visant à savoir s'il faut légaliser une aide active à mourir, et le constat d'une offre très insuffisante d'accès aux soins palliatifs ne peuvent être ignorés. Tout ceci témoigne de souffrances qui ne paraissent plus endurables à l'heure actuelle, par certains patients et par leur entourage. Au-delà des attitudes dogmatiques et des positions individuelles sur lesquelles nous ne souhaitons pas nous étendre, il nous a paru important de proposer une réflexion sur les fondamentaux juridiques, philosophiques et éthiques susceptibles d'éclairer les nécessaires choix qui devront être faits dans notre pays. En effet, pour répondre à l'aspiration commune et légitime d'adoucir des fins de vie souvent prolongées par les progrès de la science, mais aussi bousculées par la souffrance, l'isolement, et vécues douloureusement par l'entourage impuissant, choisir sa mort peut-il devenir une liberté, voire un droit, en France ? Si oui, face à quelles alternatives ? selon quels critères ? dans quel cadre ? et avec quels enjeux personnels, familiaux et sociétaux ? Quelle responsabilité engagerait notre société en légalisant le suicide assisté et/ou l'euthanasie ? Ce sont autant de questions auxquelles JALMALV-Marne se propose de réfléchir, avec l'éclairage et l'expertise de Laurent AYNÈS, et Xavier GRENET, au cours de cette soirée qui sera modérée par Didier MARTZ. Laurent AYNÈS est avocat et professeur émérite de droit à l’université Paris I – Panthéon- Sorbonne. Il est également investi dans la réflexion sur les problèmes sociétaux. Xavier GRENET a enseigné la philosophie à Paris, avant d'être directeur des ressources humaines. Il est aujourd'hui encore bénévole accompagnant en soins palliatifs à la Maison Jeanne Garnier. Didier MARTZ est philosophe/essayiste, auteur, et musicien. Il a enseigné la philosophie à Reims. Il anime de nombreux débats, et a publié plusieurs ouvrages, notamment centrés sur la vieillesse, le handicap, et l'exclusion.
LE POINT DE VUE DU PHILOSOPHE ESSAYISTE
Comment en est-on arriver là ? Là, ce lieu ou ce moment où la fin de vie est considérée comme un temps à part méritant une attention particulière aidée par les recherches en biologie, la science médicale et au-delà une idéologie qu'on appelle individualiste qui prône l'individu maître de lui-même, libre de ses choix et notamment disposant souverainement de son corps et si possible de son esprit. Et plus loin encore, une société qui n'a de cesse de contrôler tout ce qui touche à la vie des individus dans sa part la plus intime et secrète. Et toujours plus loin, une angoisse exacerbée devant la mort, une volonté presque hystérique de vouloir vivre, vivre encore. Jusqu'à aujourd'hui mourir semblait aller de soi. Je dis « semblait » car la mort a toujours été sujet de réflexions et prise dans des considérations mythiques, philosophiques ou religieuses. La mort platonicienne est une libération du « tombeau » qu'est le corps, idée relayée par la religion judéochrétienne. Pour Platon rejoindre le monde des âmes, pour la religion gagner un au-delà. Bien sûr, pouvaient demeurer quelques angoisses, mais le philosophe stoïcien Epicure nous consolait en nous disant que la mort n'était rien puisque lorsqu'elle est là, nous n'y sommes plus. Mais dans l'ensemble, la mort allait de soi. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et depuis quelque temps. La mort est contestée derrière la volonté de la maîtriser technologiquement et médicalement et surtout en donnant la possibilité à un individu souverain d'en choisir les modalités. J'ajouterai sans développer la thèse de Michel Foucault que cette volonté de maîtrise de la mort et du corps/esprit qui entre dans ce qu'il appelle le biopouvoir ou biopolitique, c'est-à-dire la mainmise sur la vie nue des individus. Non plus simplement la mainmise sur la vie des citoyens mais sur le contrôle de leur corps/esprit au nom du Bien sous la forme la Santé et de la Sécurité, les deux « valeurs » dominantes. En légiférant ou en normalisant. Il légifère en contrôlant la natalité, la vie ; légifère encore en supprimant la peine de mort, sur les naissances et l'IVG, sur la PMA, GPA, FIV, et plus loin sur l'usage de nos plaisirs le tabac, l'alcool, la sexualité... normalisé, encadré, mesuré, algorithmé. Un domaine lui échappait encore : la mort et la fin de vie. Il est aujourd'hui en passe de légiférer par une préparation douce avec diverses appellations à ce qu'on évite d'appeler l'euthanasie (appelons un chat un chat) récemment appelé « aide active à mourir » ou suicide assisté. Ceci et encore au nom d'un sujet volontaire « libre » de choisir, libre de consentir. Sujet qui ne veut pas souffrir ou que ON ne veut pas voir souffrir. Pour être complet, on mentionnera l'intérêt économique et financier qu'il y a à ne pas entretenir une population devenue inutile. Dans le processus qu'avait décrit Overton et sa fameuse fenêtre nous sommes en passe d'arriver à une pratique de l'euthanasie d'abord dépénaliser puis légaliser. Les opinions sont prêtes à l'accepter (au moins dans les sondages, peut-être pas en situation) et entrent dans la fenêtre d'Overton (une allégorie) : des idées qui n'étaient pas acceptables à une époque le deviennent dans l'opinion publique. Il y a plus de trente ans Jacques Attali formait l'hypothèse que face au vieillissement de la population, on en arriverait à pratiquer l'euthanasie (il le disait ainsi) et, ajoutait-il, en produisant l'éthique qui va avec. Nous avons la technologie. Il n'y a plus désormais qu'à former cette éthique grâce aux philosophes et autres intellectuels, à légiférer et à donner le soin aux juristes de l'inscrire dans un code. On ne compte plus le nombre de productions touchant à la fin de vie. Chacun y met du sien pour baliser le sujet. Ma dernière lecture, celle du livre d'Yves Cusset qui nous propose lui une petite (modeste) philosophie de la fin de vie. Les dès sont-ils jetés ?