Il se dit qu’elle représente un manque à gagner important et la CITURA – c’est le nom de l’entreprise qui gère lesdits transports, bus et tramway en bon père ou mère de famille - essaie de le récupérer par une campagne d’information sur ce qu’on appelle la fraude et ainsi la dissuader. Ce n’est pas exactement une information qui consisterait à afficher sur les véhicules des éléments objectifs avec chiffres, pourcentages, des graphiques et les possibilités qu’offrirait une récupération de ces pertes. Encore faudrait-il avoir une bonne opinion des facultés de compréhension des gens. Ce n’est pas non plus une communication puisque dans communication il y a aussi commun et que communiquer c’est mettre en commun. Mettre en commun des informations, sauf à estimer que les individus ne sont pas en capacité de les comprendre.
À quoi peut-on donc assimiler ces messages ? Cela ressemble fort à une action systématique exercée sur l’opinion publique pour la sensibiliser à un problème. Mais aussi et surtout, en arrière-fond, l’amener à se faire une idée. Une idée de la nature de l’individu qui fraude. Cette action est identique à ce qu’on appelle des actions de propagande, comme pour l’alcool, le tabac. Aujourd’hui pour empêcher de fumer, hier pour inciter à fumer, notamment les femmes. On utilise des techniques de manipulation qui agissent sur les éléments émotionnels et psychologiques des individus sans passer par la case « raison ». Lorsque sur tous les bus, tous les trams, s’affiche le même message, on voisine le matraquage, l’endoctrinement : « Attention tram immunisé contre les fraudeurs », « un traitement existe : validafon » ou encore « fraudivax »... Le tout assorti de blouses blanches, stéthoscopes, de boîtes de médicaments....
Ici l’idée, sortie de ne je sais quel tête pensante – et « dépensante « au passage – est de laisser entendre que le fraudeur est un malade et qu’un malade, ça se soigne. Donc pas une campagne brandissant la menace d’une amende ou une campagne moralisante dans le genre « ce n’est pas bien ce que vous faites » ou encore une campagne visant à dresser les gens les uns contre les autres dans le genre « moi je paye et pas toi ». Non, rien de tout cela. Le fraudeur est un malade. Et des malades dans des temps d’épidémie, on s’éloigne, on s’écarte, on ne s’approche pas trop, on tient ses distances... Des pestiférés. Tiens, ça rappelle quelque chose, n’est-ce pas ? Bon, on n’en est pas encore à vacciner les fraudeurs, à les rééduquer dans des stages ou à leur faire porter un signe distinctif genre « carton rouge ».
Le fraudeur est un malade. Point. Quant à envisager d'autres raisons à la fraude, il faudrait élargir sa mentalité . Pour ma part, j’en vois une. J’écarte le plaisir de tricher, de transgresser, de prendre des risques et de les calculer. D’ailleurs, une expérience d’une grande intensité psychologique que je recommande. Non, principalement, le fraudeur c’est celui qui est dans l’impossibilité de payer, car il n’a pas d’argent. Il est pauvre, il est pauvre et réfugié, il est chômeur et l’inflation vient par-dessus tout cela. Un ticket : 1,80 ou 2 €, le prix d’un repas chiche. Un abonnement ? 30 € ! Frauder, c’est voler, voler un pain comme le Jean Valjean des Misérables parce qu’il a faim. C’est cet étudiant ou cette étudiante qui doit aller à la fac ou rejoindre une soupe populaire, ce jeune qui doit aller travailler, cette dame en cabas et en chagrin, ces exilés qui prennent le bus juste pour avoir chaud... Les transports en commun sont des transports de classe. Ils transportent principalement les classes populaires. Les autres classes roulent en voiture ou en taxi. Justement, on ne voyage pas en commun, car une partie de la ville est dispensée de ce mode de transport. Les classes mieux nanties vivent, non pas en mode commun, mais en mode séparé, isolé, non mêlé. On pourrait tout de même imaginer des premières classes dans les bus et les trams comme à la SNCF !
Une solution contre la fraude : rendre les transports gratuits. Plus de fraudeurs, plus de contrôleurs, plus de police aux portes des bus, plus de services de caisse, de machines à distribuer des tickets ou à valider. Moins de voitures dans les rues à errer. Et plus de campagnes de propagande dont les coûts doivent être exorbitants, mais réjouissez-vous usagers ou clients, c’est vous qui la payez en achetant un ticket antivirus fraude.
Je vois ces jeunes l’air bravache, souriants, contents de braver les règles sociales ; j’en vois d’autres qui trichent, empotés, passant devant la machine à valider cherchant à se donner une contenance ; et ceux-là, inquiets, guettant le contrôleur. Et enfin, ceux, fiers d'exhiber au contrôle un ticket validé bien content d'être en règle, conforme. Le bus : une petite société de gens communs.