Qu'on ne s'attende pas dans cette chronique hebdomadaire à un avis autorisé sur l'efficacité de ce vaccin et encore moins à quelque conseil sur la conduite à tenir. Je suis mal placé et quand bien même serais-je bien placé pour en parler, mes avis autorisés rencontreraient très vite sur leur route d'autres avis tout aussi autorisés qui les mettraient à mal. Jusque-là, l'ignorance venait du fait que nous manquions d'informations sur tel ou tel sujet, mais depuis quelque temps elle provient, paradoxalement, d'une abondance de savoirs créant ainsi une grande confusion dans les esprits et fabricant de l'ignorance. C'est assez bien joué. Démocratiquement, il est légitime de transmettre les savoirs et l'école y pourvoit. Par ce biais, on estime ainsi produire des citoyens instruits, mais avec le risque, pour un pouvoir quel qu'il soit de les émanciper. Pour y parer, une solution est de tenir les individus dans l'ignorance en les privant de connaissances. Il suffit alors de leur faire quitter précocement l'école par exemple. La deuxième solution est de les gaver de connaissances jusqu’à satiété et de les rendre incapables de s'en servir. Dans les deux cas, on produit de l'ignorance par le vide ou le trop-plein. On se souviendra de Montaigne et de ses deux têtes, l'une bien pleine, l'autre bien faite. Revenons à AstraZénéca. On notera, au passage, que ce vaccin est en but à nombre de critiques depuis son lancement. Sans doute pour faire payer aux Anglais leur Brexit ! On a relevé ou révélé récemment que, je cite, sur les 20 millions de personnes en Grande-Bretagne et en Europe qui ont reçu le vaccin, 7 cas de coagulation intravasculaire disséminée et 18 de thrombose veineuse cérébrale ont été recensés. D'où la suspension de la campagne de vaccination avec AstraZénéca en attendant d'y voir plus clair. Après analyse approfondie, on a pris une balance utilitariste pour peser les avantages et les inconvénients, les bénéfices et les pertes, car même approfondie, l'analyse n'a pas pu aller jusqu'au fond des choses. Le fond des choses nous est toujours inaccessible aussi a-t-on été amené à estimer. Et on a estimé que le jeu consistant à sauver quelques12 millions de personnes valait bien la chandelle d'en perdre une trentaine.
Je le répète, c'est une logique utilitariste. Il y a là quelque chose du sacrifice nécessaire. Certes elle est peu éthique, car c'est une logique de calcul de poids et de mesures, une logique de gains et de pertes et elle se donne des airs tellement naturels qu'il est difficile de la contrarier. Pour sauver le soldat James Francis Ryan, on admet qu'il faut perdre plusieurs autres soldats. Ça va de soi. D'autant qu'elle a à son service une arme absolue et convaincante : la statistique. Chez elle, le pourcentage est un fait et un fait s'impose à la raison. Imparable ? Ou presque.
Transportons-nous dans le roman de Charles Dickens, Les temps difficiles. Mr M’Choakumchild, le professeur de l'élève Sissy Jupe est un utilitariste convaincu, grand manieur de statistiques. Mr. M' Choakumchild a voulu la mettre à l’épreuve avec cet exemple : « Mettons que cette salle de classe soit une ville immense et qu’elle contienne un million d’habitants, dont vingt-cinq seulement meurent de faim dans la rue au cours d’une année. Quelle remarque avez-vous à faire à cette proportion ? » Et Sissy de répondre qu'à son idée c'est tout aussi dur pour ceux qui meurent de faim qu'il y ait un million d’habitants ou un million de millions. Alors Mr Choakumchild veut encore mettre Sissy à l’épreuve et présente les statistiques des accidents en mer (très prémonitoire! Surtout si cela se passe en mer Méditerranée) : « Sur cent mille personnes ayant entrepris de grandes traversées, cinq seulement se sont noyées ou ont péri carbonisées. Quelle est la valeur du pourcentage ? Et Sissy répond que cette valeur est nulle, nulle pour les parents et les amis de ceux qui étaient morts, nulle encore, car elle nie les existences individuelles. No comment. Ainsi va le monde !
Didier Martz. A Reims le, 21 mars 2021
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