Le débat fait rage entre les pour et les contre le vaccin anti-covid. Et chacun de déployer arguments et contre-arguments. Si l'on en croit les statistiques, ce sont les « anti-vacs », comme l'on dit, qui restent majoritaires. Mais attention, ceux qui refusent de se faire vacciner ne sont pas nécessairement contre le vaccin. Soit ils s'interrogent, s'inquiètent, s'informent ou bien ont simplement peur des piqûres. Pourtant les promoteurs du vaccin qui sont pour la plupart aux commandes ne manquent pas d'arguments. Scientifiques, médecins, politiques ont suffisamment d'éléments sérieux en main pour convaincre les réticents. Deux choses viennent à l'esprit – enfin au mien – à propos de cette controverse. La première serait de nature politique ; la seconde, plus philosophique, si on arrive à faire la distinction entre les deux.
La première donc relève du politique ou de la stratégie politique. On pense que si les gens ne veulent pas se faire vacciner c'est qu'ils n'ont compris ni le principe du vaccin ni les enjeux. Le présupposé étant que lesdites gens sont des imbéciles et qu'ils ont du mal à comprendre. De là on peut tirer la conclusion qu'il va falloir faire de la pédagogie, expliquer et encore expliquer, et faire de la communication. Le « best off » de cette stratégie est la BD qui explique en six vignettes comment se laver les mains ou celle qui envoie des messages infantilisants du genre « quand on aime ses proches, on ne s'approche pas trop ». Accordons que tout ceci part d'une bonne intention, mais que les effets sont faibles et que le virus continue à mener la belle vie. Outre la pédagogie, une autre stratégie utilise la peur. Faire peur en brandissant des chiffres de contaminés ou cas positifs, de personnes en réanimation, de lits et de morts. Avec la peur, plutôt que de convaincre avec des arguments rationnels, on tente de persuader en jouant sur les émotions et de provoquer la réaction originelle de l'enfant traumatisé par la peur du loup ou du gendarme. On tente alors de la rejouer en infantilisant l'adulte qui a refoulé mais pas oublié.
Second sujet de réflexion dite philosophique. Par hypothèse, imaginons que l'efficacité du vaccin repose sur une certitude scientifique ? « Qu'est-ce qui fait alors qu'on ne parvient pas à être convaincu par des arguments rationnels, scientifiques, évidents ? » La question concerne le vaccin, mais aussi la rotondité de la terre, le racisme, le pas sur la Lune, etc. ? Pourquoi la raison échoue-t-elle encore à convaincre après trois siècles de Lumières ? Ainsi , il est prouvé que la terre n'est pas plate, qu'il n'y a pas de races et même que le vaccin ne tue pas… Réponse : « oui, mais quand même », la phrase qui, elle, tue. « Oui, mais quand même », il y a toujours un reste, une poche de mystère qui laisse place à la croyance. Et donc, nous conduit paradoxalement à faire des propositions scientifiques l'objet d'une croyance. « Oui bien sûr c'est vrai... mais quand même. » D'autant que dans la plupart des cas nous sommes dans l'incapacité de vérifier. Alors on croit en l'autorité en blouse blanche et en sa parole. Ou bien on se laisse aller à rêver. D'ailleurs, je ne sais pas vous, mais moi, l'ARN Messager m'a plutôt emmené vers des horizons bleuis et aériens que vers les terres arides de la biologie et de la génétique. Ainsi l'émotion ne sera pas pour rien dans nos jugements.
Ainsi, pour Antonio Damasio, neurologue et neuro-philosophe, il y a une complémentarité entre émotion et facteurs cognitifs. C'est-à-dire que ce qu'il appelle des marqueurs somatiques va entrer en jeu dans nos jugements et nos décisions. Les marqueurs somatiques permettent ainsi la prise de décision dans des situations où l'analyse logique des différents choix possibles est insuffisante. Une prise de décision, mais rien ne garantit qu'elle sera rationnelle et logique. Ainsi ayant à décider de me faire vacciner ou non, je convoquerais presque à mon insu, une vieille séance de BCG à l'école ou toute autre piqûre reçue pour juger de la fiabilité du vaccin. De la nécessité de devoir porter un jugement resurgira une émotion ancienne qui viendra à son tour affecter mon jugement. Non pas parole de neurologue, mais parole de philosophe. Ainsi vont nos idées.
https://youtu.be/3BkCTU86wTM
Didier Martz, philosophe, essayiste, le 11 Janvier 2020 « Ainsi va le monde » une collection de 406 chroniques Edition de l'auteur chez cafedephilosophie@orange.fr www.cyberphilo.org