Cauchemardesque, effarant, horrible « plus jamais ça »... Pauvre 2020 désormais inscrite dans le Guinness des records à côté des autres années noires. L'ambiance en ce début d'année n'est pas au beau fixe et les vœux formulés sont prudents, vu les effets produits par ceux de l'année dernière. On exclut le « bonne » de bonne année et on espère seulement que la nouvelle soit un peu meilleure. On hésite presque à s'engager pour une année, tout au plus se souhaiterait-on une bonne journée !
C'est que nous sommes en guerre a claironné le Président de la République comme un précédent ministre de l'intérieur exilé aujourd'hui en Espagne. Pour celui-ci en guerre contre les terroristes, pour celui-là en guerre contre le virus. À la manière de Jean de la Fontaine, en guerre contre un mal qui répand la terreur, la covid-19 puisqu'il faut l'appeler par son nom, capable d'enrichir en un jour, les statistiques, les hôpitaux et les cimetières. Et quelques profiteurs. Ce mal, poursuit notre Jean de La Fontaine modernisé, faisait et fait encore aux animaux que nous sommes, la guerre. Certes, tous n'en mouraient pas, mais tous ou presque en étaient frappés. Directement ou indirectement.
Et ils étaient fort démunis, car ils n'avaient pas sous la main un bouc émissaire ou le baudet de la fable pour lui crier dessus « haro », à mort le fauteur de troubles. Encore que les Chinois ou quelques migrants auraient bien fait l'affaire ou autre anglais brexiteur et déserteur. Démunis encore, car nous n'avions plus sous la main ou au-dessus de nos têtes un Ciel qui, en sa fureur, inventa ce Mal pour punir les crimes de la Terre, en quelque sorte une punition collective.
Donc pas de bouc émissaire, pas de fureur divine, pas de responsables, pas d'excuses et nous nous réveillâmes orphelins ce matin de 2021 ne nous restant plus qu'à espérer des jours meilleurs voire à regretter, paradoxalement, le monde d'avant. Aujourd'hui, il n'est plus question de celui d'après. Espérer ou regretter c'est-à-dire vivre, comme dit Blaise Pascal, dans des temps qui ne sont pas les nôtres, puisqu'ils sont passés ou à venir alors que seul le présent compte.
Mais que dirions-nous si aujourd'hui on nous annonçait que 2021 serait comme 2020 ? Le philosophe Nietzsche, nous propose alors une expérience de pensée, un exercice pour réfléchir pour nous en sortir : « Que dirais-tu, écrit-il, si un jour, si une nuit, un démon se glissait jusque dans ta solitude la plus reculée et te dise : « Cette vie, tel que tu la vis maintenant et que tu l'as vécue, tu devras la vivre encore une fois et d'innombrables fois ; et il n'y aura rien de nouveau en elle si ce n'est que chaque douleur et chaque plaisir, chaque pensée et chaque gémissement et tout ce qu'il y a d'indiciblement petit et grand dans ta vie devront revenir pour toi et le tout dans le même ordre et la même succession — cette araignée-là également, et ce clair de lune entre les arbres, et cet instant-ci et moi-même. » Donc reviendraient et l'épidémie, et l’article 24, et la violence policière et policée, et les casseroles au balcon et les silences effrayés... Que faire alors si 2021 ressemble à 2020 ? Se plaindre, se lamenter, espérer, regretter ?
Nous ne pouvons changer les faits et ils reviendront tels qu'ils étaient, mais ce que nous pouvons changer dit un autre philosophe, Epictète en l'occurrence, c'est notre jugement, notre rapport affectif aux faits. Et 2020 devient une année exceptionnelle, elle qui nous a permis de nous asseoir et de nous regarder marcher ; elle qui nous a permis de sortir de l’ennui d'un mode de vie seulement attentif au dernier produit inutile à venir. 2020, fut aussi une grande année d'inventivité, de création, d'imagination. Nous avons peu l'occasion de vivre des expériences d'une telle intensité subjective et affective et ce sont souvent celles dites négatives qui en sont le plus chargées. L'année 2020 rentre dans la catégorie des événements et dans l'histoire, celle qu'on racontera aux enfants et petits-enfants. Celle qui a ouvert des brèches. Alors, dans ce cas, bonne année 2021 !
https://youtu.be/KrGeK_UALFM
Didier Martz, philosophe, essayiste, le 3 janvier 2021 « Ainsi va le monde » une collection de 406 chroniques Édition de l'auteur chez cafedephilosophie@orange.fr www.cyberphilo.org
Post scriptum : Un autre avantage de l'année 2020 qui mériterait qu'on y retourne et qui justifie qu'elle est et qu'elle sera un bon millésime est l'exceptionnelle récolte de raisins. Exceptionnelle pas tant en quantité mais en qualité vu leur teneur en sucre. 2021 ne sera pas l'année de la dégustation du millésime mais celle d'un livre qui paraîtra au mois de septembre aux Éditions Ères : Vieillir comme le bon vin, pour une vieillesse effervescente. À déguster bien sûr sans modération.