7 – La 5 G
La 5 G. Vous n'aviez pas nécessairement besoin d'y penser mais la pression des médiateurs augmente tellement qu'on ne peut pas ne pas avoir une opinion sur le sujet. Il peut être intéressant de noter, si on le veut bien, que toutes les informations qui font irruption dans notre conscience pratiquement tous les jours nous poussent à avoir une opinion. La 5 G aujourd'hui. Avant, pas plus tard qu'hier, la tenue Républicaine, le séparatisme, le procès de Charlie et plus loin la cueillette des olives en Basse Provence. Faute de temps pour vérifier les propos, nos préférences irons plutôt vers les idées « qu'on sent bien », celles qui viennent plus du coeur ou du ventre que de la raison. Une affaire de ressenti. Ainsi on finit par avoir un avis sur tout. Dans les sondages qui sondent la profondeur des consciences, il est rare de ne rien y trouver. Le pourcentage dans les dits sondages des « je ne sais pas », des « sans avis », des « sans opinion » est en général faible.
Pour la 5 G, une fois dépassées les informations techniques absconses vient en effet l'heure des prises de position, arguments à l'appui qui renvoient chacun dos à dos. Nous sommes alors soit pour, soit contre. Mais sur quoi va reposer cette prise de parti si nous n'avons pas tous les éléments en main ? Si tant est que nous puissions les avoir. Sur quoi reposent nos opinions ? Nos choix religieux ou politiques ? Pourquoi sommes-nous pour ou contre la 5 G si nous n'avons pas d'éléments rationnels et suffisants ? Il faut alors aller y voir de plus près ou plutôt de plus loin, retrouver quels sont nos fondamentaux comme l'on dit. Sans doute que quelque chose se joue au niveau de notre rapport à la technique ou plus encore notre rapport à la modernité. Le débat met alors en scène d'un côté les partisans de la sobriété technologique et de l'autre les promoteurs du progrès. Un débat, résumé par le président Emmanuel Macron dans un raccourci fulgurant, entre « Amish » et « Novateurs », entre partisans de la lampe à huile et partisans de la lampe électrique.
Nous avions offert à ma mère, il y a au moins quelques trente ans de cela, une cocotte minute pour remplacer son vieux « faitout » en aluminium tout cabossé. La cocotte-minute est restée dans son carton jusqu'à sa mort. Celle de ma mère, pas celle de la cocotte-minute. C'est que les objets, bien que l'on dise que leur obsolescence est programmée, ont quand même une fâcheuse tendance à nous survivre et à poursuivre leur vie bien au-delà de la nôtre. Leur persévérance dans l'être est, en reprenant le poète René Char, « un affront à notre dur désir de durer ». Que quelque chose puisse subsister après moi, que le monde poursuive sa course indifférent à mon existence, voilà qui est insupportable. Aussi pour conjurer cette frayeur, avons-nous fabriqué des objets jetables à durée de vie limitée. IKEA en est le symbole
Retour à la 5 G. Ne sachant pas très bien quoi en penser, j'aurais quand même tendance à me ranger du côté de l'écologie en estimant que « ça commence à bien faire » toutes ces innovations destructrices et qu'il est largement temps d'y mettre fin ou d'y mettre un frein. Et que par ailleurs un objet même numérique n'a pas de vertu propre à corriger les inégalités. Par conséquent adopter un moratoire, prendre des précautions. Prendre des précautions pour une raison démocratique parce que nous sommes de plus en plus éloignés des savoirs, que pour comprendre l'informatique, le numérique, le virus et ses caractéristiques, il faut être un expert. Or pour prendre démocratiquement des décisions collectives nous avons besoin « devant cette opacité de la technique contemporaine, comme dit Bernard Stiegler, de comprendre le processus de l'évolution technique ». Or, nous avons de plus en plus souvent le sentiment que tout nous échappe. Et enfin prendre des précautions parce que comme dit le sage chinois Lao-Tseu lorsque nous inventons le bateau nous inventons en même temps le naufrage. Le Titanic en sut quelque chose. C'est un bon exercice de pensée avant d'entreprendre quoi que ce soit. Ainsi va le monde.
https://youtu.be/-pVg_NFBShw
5 Octobre 2020 Didier Martz, philosophe, auteur « Ainsi va le monde », un recueil de 406 chroniques de 2008 à 2018 chez l'auteur – www.cyberphilo.org La tyrannie du Bienvieillir, Dépendance quand tu nous tiens, La lumière noire du suicide, Dictionnaire impertinent de la vieillesse... chez ERES