6 - Liberté d'expression
Deux personnes ont été agressées à l’arme blanche près des anciens locaux du journal satirique Charlie Hebdo à Paris. Cette attaque survient alors que se tient le procès des attentats de 2015 visant la rédaction et peu après la parution la semaine précédente des caricatures de Mahomet dans le journal satirique. On s'est empressés d'y voir un acte terroriste qui a ému, comme il se doit, la classe politique toute entière et aussi d'y voir une atteinte à la liberté d'expression.
La liberté d'expression est un principe. Le déontologiste à la manière du philosophe Kant érige des principes avec lesquels on ne doit pas transiger. Quelles que soient les situations. Ainsi du prétendu droit de mentir. Pour Emmanuel Kant, en effet, « la véracité est un devoir qui doit être regardé comme la base de tous les devoirs fondés sur un contrat, et que, si l’on admet la moindre exception dans la loi de ces devoirs, on la rend chancelante et inutile ». Ainsi si j'abrite un migrant en situation irrégulière recherché par la police et que celle-ci cogne à mon huis, je dois livrer la personne que je cache. Autrement dit, mentir même dans la situation dramatique dont il est ici question est à proscrire radicalement, la véracité étant « un devoir absolu ». Donc peu importe les conséquences pourvu que le principe soit respecté. De même du principe de liberté d'expression dont celle de blasphémer. Celle-ci ne saurait souffrir aucun amendement quelles que soient les conséquences. Même au prix de la mort des journalistes de Charlie Hebdo et aujourd'hui au prix des agressions perpétrées contre deux employés de l'agence de production Premières Lignes.
A l'inverse des déontologistes, ceux qu'on appelle les conséquentialistes considéreront qu'il faut, comme leur nom l'indique, juger de la valeur et de la légitimité d'un acte à ses conséquences indépendamment des principes. Nous pouvons mentir à quelqu'un et lui cacher sa maladie en estimant que c'est pour son bien. La suite nous apprendra si nous avons bien fait ou pas.
Charlie Hebdo, en republiant les caricatures du prophète Mahomet devait s'attendre à la réaction d'individus qui, s'estimant lésés, ont réagi de la manière que l'on sait. La liberté d'expression a parfois ses limites et elles s'imposent dès lors que la vie d'individus est en danger. Ainsi s'agissant de la liberté de déplacement le gouvernement lui impose des restrictions et interdit de se rendre dans des pays dits à risques. Là où on peut être pris en otage et décapités.
Je lis avec satisfaction sur les réseaux a-sociaux les commentaires des défenseurs de la liberté d'expression confortablement installés devant leur écran d'ordinateur. Il est rassurant de voir qu'il existe des gens outragés et zélès capables de lever sinon le petit doigt mais l'index pour cliquer sur le bouton gauche de la souris. Par ce geste, il témoigne d'un courage exemplaire pour défendre la liberté d'expression. Il en est même qui ajoutent au bout de leurs phrases des points d'exclamation. Il faut oser.
Ce sont les mêmes qui, je crois après le carnage du Bataclan sont allés défendre la liberté à la terrasse d'un café. On allait voir ce qu'on allait voir. Fort heureusement, ils avaient le soleil de leur côté. Celui-ci, indifférent, éclaire aussi bien le faible que le fort.
Pendant ce temps, sur leur lit d'hôpital, les victimes se réjouissent d'être le symbole de la défense de la liberté d'expression. Pendant ce même temps, un autre individu courageux peut lui aussi se réjouir d'avoir tenté de contenir l’assassin. On en parle peu. Il est vrai qu'il s'appelle Youssef, qu'il est algérien sans doute musulman s'inspirant du Coran et de l'islam. Ainsi va le monde !
27 Septembre 2020 Didier Martz, philosophe, auteur « Ainsi va le monde », un recueil de 406 chroniques de 2008 à 2018 chez l'auteur La tyrannie du Bienvieillir, Dépendance quand tu nous tiens, La lumière noire du suicide... chez ERES
https://youtu.be/7Ocmvxn2j-A