« Tout ça pour ça !» C'est la couverture du numéro de Charlie Hebdo rappelant que le 7 janvier 2015 pour quelques caricatures du prophète Mahomet des terroristes assassinent, massacrent et exterminent. Ce rappel, parce que s'ouvre maintenant le procès de quelques sous-fifres de cette tragédie. Je n'y reviens pas car elle est largement rappelée et commentée dans les médias. Je m'arrêterai, même si ça paraît futile et léger au regard de ces dramatiques évènements, à l'expression « tout ça pour ça ». Une expression que le philosophe bien pensant considérerait comme un propos de comptoir relevant de la vulgaire opinion.
Qu'on ne se trompe pas ! Elle relève bien au contraire d'un courant de pensée délétère et nuisible qu'on pourrait appeler le « touçapourçaisme ». Un courant d'idées dont on connaît mal les auteurs et les théories mais qui met en jeu une question philosophique bien connue concernant le rapport entre les moyens et les fins d'une action. On la connaît sous la forme « est-ce que la fin justifie les moyens ? ». Dans l'expression « tout ça pour ça », ils sont nommés de pareille façon : "ça". Le « ça » des moyens dans "tout ça" et le « ça » des fins ou des buts dans "pour ça". Tout ça pour ça. Tout ce carnage pour quelques caricatures. Le sous-entendu très entendu étant que c'est bien la peine d'utiliser des moyens démesurés et monstrueux (tout ça) pour une si faible raison (pour ça). La montagne qui accouche d'une souris relève du même registre. Des moyens importants sont mobilisés mais le succès escompté de l'opération est loin des espérances des assassins, celle d'entraver la liberté d'expression.
D'une certaine manière, les « toutçapourçaistes » récusent l'idée que la fin puisse justifier les moyens notamment parce qu'ils peuvent être utilisés sans limites. Les contradicteurs des « toutça pourçaistes » ont avec pertinence pointé que ces derniers s'inscrivaient dans la tendance utilitariste pingre et mesquine qui tente avec le minimum de moyens d'atteindre les meilleurs résultats. Ce qu'en termes choisis et dans les officines du management, on nomme « efficience ». Pour les « touçapourçaistes », comme le chêne est virtuellement dans la graine, la fin est dans les moyens. Pour Jean-Paul Sartre, « ... Il y a des moyens qui risquent de détruire la fin qu'ils se proposent de réaliser, en brisant par leur simple présence l'unité synthétique, (c'est-à-dire le but) où ils veulent entrer. » La tuerie du 7 janvier a, contrairement aux vœux des assassins, renforcé la liberté d'expression.
Les "touçapourçaistes" sont proches d'un autre courant philosophique appelé "alorquoiisme" fondé sur une question fondamentale à savoir : " Alors quoi ?" ou « Et alors ? » Ils sont proches car après avoir constaté la débauche de moyens mis en œuvre comparée à la faiblesse des résultats, il se demande sur quoi tout cela peut déboucher. « Alors quoi ? », qu'est-ce que ça apporte de plus ? Toutes ces expressions ont en commun d'ouvrir sur une sorte de scepticisme radical quant à l'intérêt de l'action et l'utilité des engagements.
"Touçapourçaistes" et "Alorquoiistes" trouvent tout naturellement à leurs côtés les « aquoibonistes ». « A quoi bon ? ». En effet, à quoi bon se démener, s'agiter, lutter puisque de toutes les façons, rien ne changera jamais ? Ce qui doit arriver arrivera et vos efforts ne changeront rien à la fatale nécessité. L'« aquoiboniste qui se fout de tout et persiste à dire « je veux bien, mais au fond, à quoi bon ? » chante Serge Gainsbourg. « L'aquoibonisme » est la forme la plus radicale du renoncement, de la résignation, un abaissement et un aplatissement. Le 7 janvier 2015 la rédaction de Charlie Hebdo était décimée. Ainsi va le monde.
Didier Martz, essayeur d'idées - le 5 septembre 2020 « Ainsi va le monde », un recueil de 406 chroniques Chez l'auteur www.cyberphilo.org