Nous avons été, pendant deux mois, « confinés ». « Restez chez vous » pour vous protéger, pour protéger les autres et parce que vous avez conscience de l’intérêt collectif. Les injonctions étaient pertinentes... Qui pourrait prétendre le contraire ? Mais elles n’ont pas été vécues par toutes et tous de la même manière. Ainsi parmi nos concitoyens, certains ont vécu des situations particulièrement difficiles. On évoque partout le remarquable travail des soignants. Rendons leur hommage, à eux, et aussi aux enseignants, aux employés de commerces et autres « invisibles » grâce à qui le pays a continué à fonctionner... Mais, au delà de cet hommage, imaginons un instant ce qu’ont vécu les personnes confinées en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, autrement dit EHPAD, ou les établissements pour les personnes en situation de handicaps très importants. Elles avaient accepté, avec parfois beaucoup de difficultés, de quitter leur domicile ou le domicile familial parce qu’on leur a dit « Tu ne peux pas rester seul, tu ne peux pas continuer à vivre sans voir personne, sans avoir d’échanges, de relations avec d’autres personnes, etc. Il faut bouger, sortir, voir du monde... » Et voilà qu’un virus, par surprise ou presque, conduit les responsables de notre pays à fermer, tout ce que jusque-là nous voulions ouvrir... les frontières, les magasins, les écoles, les universités, les commerces, les lieux culturels, les établissements spécialisés... rien n’était assez ouvert !
Que deviennent alors les raisons pour lesquelles on avait convaincu les personnes âgées d’entrer en EHPAD ? Elles partageraient une vie sociale, elles verraient du monde, elles auraient des visites, elles participeraient à des animations, ce serait un lieu de vie, elles y seraient « chez elles »... A leur arrivée on a même écrit pour elles et parfois avec elles leur « projet de vie » ! Mais désormais il leur est interdit de sortir ! Il se pourrait même que le confinement les retienne non seulement dans l’établissement mais aussi dans la chambre dont on dit qu’elle est la leur. Finis les repas partagés dans une salle à manger conviviale, finis les moments d’échange avec les autres résidents : un personnel masqué, méconnaissable vous enjoint de ne pas quitter votre chambre !
Que le confinement soit une exigence sanitaire, admettons ! Mais si les conditions de sa mise en œuvre entraînent une fragilisation ou une rupture des liens affectifs, familiaux et sociaux, voilà qu'il se fait redoutable isolement. Non pas solitude « où je trouve une douceur secrète » disait La Fontaine mais bien isolement, c'est-à-dire être dans l’impossibilité de poursuivre ou d’établir des relations. Et les fameux bienfaits de la « connexion » tous azimuts seront une bien maigre consolation. Ainsi de confinement en isolement, on glisse vers l'enfermement. Pas par intention de faire mal, mais de fait ! Notamment parce que vous n’en décidez pas et que, d’accord ou non, vous en êtes réduit à le subir. Le « grand renfermement » que Michel Foucault nous aidait à comprendre et à analyser est à l’œuvre, discrètement sans doute, mais terriblement ! Bien sûr on nous dira que dans nos vies on ne décide finalement pas de grand-chose et que la liberté ne consiste souvent qu’à décider d’accepter des contraintes que l’on ne peut pas refuser. Mais à ce point !
Confiné, isolé, enfermé. Les références carcérales que ces derniers impliquent a quelque chose d’insupportable et on préfèrera utiliser le « doux » confiné. Mais la confluence de ces trois termes en appelle un quatrième : confinement, isolement, enfermement appelle immobilisation. Une invisible contention qui contient et maintient l'individu dans l’espace réduit de la chambre. Comme le chantait Jacques Brel : « Les vieux ne bougent plus... du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit. »
Demain nous aurons à inventer la suite, chacun dans notre propre rôle mais pour cela il nous faut dès maintenant penser la manière dont nous souhaitons faire société avec les plus vulnérables de nos concitoyens. Confiner, n’est-ce pas étymologiquement toucher aux confins, aux limites ? Y compris, sans doute, aux limites de notre humaine condition... Ainsi irait le monde ! Merci Michel Billé.
Ainsi va le monde 406 Chroniques philosophiques de la vie ordinaire Chez D.Martz : cafedephilosophie@orange.fr
1 De M RIVIERE -
Place Jamâa El Fna... plutôt, pour moi, le souvenir d'un excellent couscous, un soir sur une terrasse... Les gens étaient démasqués, on ne se souciait ni de sécurité, ni d'hygiène, ni de promiscuité... le siècle dernier, quoi ! On lisait avec avidité Arendt, Foucault, Illich et Ellul, Sartre et Lévinas, Ionesco et Anouilh, le tout mélangé dans le thé à la menthe... ou une bière fraîche, au son des Beatles ou de Brassens... C’était le XX ième siècle!
Amitiés