Je ne sais pas vous mais moi je ne sais plus qui croire en cette période. Que du côté des politiques ou des décideurs (oui c'est bien ainsi qu'on les appelle) on ne sache pas toujours quoi penser ou quoi faire, je peux le comprendre, ça m'arrive aussi parfois. Mais du côté des scientifiques en matière de certitudes, c'est plutôt le bazar ! Et les médias ne se privent pas de nous mettre dans l'embarras. Quelques exemples : chloroquine ou pas chloroquine ? Nicotine ou pas nicotine ? Immunisé définitivement ou pas ? D'où vient le virus, des animaux ou pas ? Masque ou pas masque ? Et dernière nouvelle, les tests sérologiques ne seraient pas aussi fiables que cela, etc. Il y en a d'autres, j'en passe et des meilleurs et peut-être même des pires !
Que se passe-t-il donc du côté des chercheurs, des scientifiques ? Normalement, science et vérité vont bien ensemble et on s'attend à ce que la science, et la médecine scientifique en particulier, nous apporte la preuve de sa validité. Elle le fait en général dans la pratique en soignant et guérissant. Mais côté vérité, c'est plutôt la « foire d'empoigne », une dispute parfois rude entre chercheurs, médecins et autres. De là nous serions bien tentés de voir midi à notre porte et de juger qu'après tout, tout se vaut et de sombrer alors dans un profond relativisme ou de se jeter sur la première opinion qui passe. Dans la même veine et plus loin encore, de juger qu'aucune connaissance vraie n'est possible et de s'inscrire au parti des agnostiques. Cependant et devant la même porte, il faut balayer l'idée que les vérités scientifiques tombent du ciel. « L'euréka » d'Archimède est une légende représentée par une ampoule qui miraculeusement s'allume dans le cerveau d'un quelconque Géotrouvetout. Et ce n'est pas dans la solitude de son cabinet que Galilée a trouvé que la terre tournait. La vérité ou la certitude scientifique n'émerge qu'après de longs débats et c'est grâce à ces disputes, de la disputatio latine, qu'affleure quelque chose comme une vérité. Et c'est sur la place publique médiatique, nouvelle agora, que vont s'empoigner scientifiques, praticiens, politiques et les « opiniâtres » pour dire ce qu'est la vérité. Pourquoi cette difficulté ? Si une vérité est une vérité alors elle devrait s'imposer d'elle-même ! Et bien non. Dès qu'elle arrive sur la place publique, elle devient, comme dit Hanna Arendt, une vérité d'opinion ou mieux encore, ou pire encore, ne deviendra vérité que si l'opinion en décide ainsi. Et pour qu'elle le décide, il faut qu'elle soit dominante. Ainsi, la Terre ne finira par tourner que bien longtemps après que Galilée, après s'être rétracté devant le tribunal de l'Inquisition, peu médiatique à l'époque, aura murmuré : « Eppur si muove » et « pourtant elle tourne ». C'est que la vérité dérange. Elle dérange les idées reçues, les manières de penser le monde et les pouvoirs qui vont avec. Elle in-forme c'est-à-dire qu'elle tente de donner une forme nouvelle aux esprits. Gilles Deleuze, lui aussi philosophe, dit que le mot est une sorte de mot d'ordre, qu'il met de l'ordre dans les idées ou tente de le faire. La vérité ou connaissance est aussi une affaire d'affect surtout dans un climat de peur. Le philosophe Spinoza dirait qu'elle est une affaire de désir, proposition troublante selon laquelle les choses, les idées ne sont pas désirables en elles-mêmes mais que c'est parce que nous les désirons qu'elles le sont. Je peux être convaincu que le tabac est mauvais pour la santé mais encore faut-il que j'en sois persuadé, que j'ai envie d'y croire, que je le désire. Nous apprécions les idées avec lesquelles nous nous sentons bien où comme l'on dit « nous les sentons bien ». Y croire nous fait du bien. Par exemple, l'un adhère à l'hydrochloroquine parce qu'il aime bien le look du professeur Raoult ; l'autre non, parce qu'il « a une drôle de tête, ce gars-là » ! Ainsi, la vérité a besoin d'appuis qui ne sont pas de son ressort pour s'affirmer. Seule, elle y parvient difficilement. Soumise à des intérêts politiques, économiques ou idéologiques, elle est l'objet d'enjeux. Elle est conditionnelle. Et votre interlocuteur est prêt à tout pour vous persuader y compris à mettre la qualité de son éternité en jeu. « La vérité si je mens », parce que si je mens je vais en enfer... Croix de bois, croix de fer. Alors à ce prix-là nous sommes prêts à tout croire !!!! Ainsi va le monde.
Didier Martz, philosophe. Le 9 mai 2020 Se retrouver sur cyberphilo.org – Facebook - https://youtu.be/FOkcf_mhZ4o A lire Ainsi va le monde : 406 chroniques philosophiques de la vie ordinaire