Bonjour à toutes et à tous,
S'agissant de l'épidémie, il ne s'agit pas d'une crise car la crise ne désigne en général qu'un mauvais moment à passer après lequel les individus, les sociétés recouvrent la santé et l'équilibre. Et tout repart comme avant. Le Même a une fâcheuse – ou heureuse tendance - à rester le Même.
Or ici nous n'avons pas affaire à une crise passagère mais à ce qu'on appelle un phénomène structurel. Dire qu'un phénomène structurel est un fait de structure ne nous fait guère avancer. On avancera un peu plus avec son antonyme : un phénomène structurel n'est pas conjoncturel. Par exemple, le chômage du fait de sa permanence n'est plus – si tant est qu'il l'ait été – conjoncturel mais bien structurel, inscrit dans la structure ou société. C'est-à-dire comme un élément étroitement lié voire indispensable au fonctionnement de la société. Ainsi, le chômage n'est pas le produit de dérèglements passagers d'une économie, ni le fruit d'une mauvaise gestion politique mais un phénomène lié étroitement à la société. Et, paradoxalement, qui lui devient nécessaire pour fonctionner. Même si l'on s'en défend.
Michel Foucault (1926 – 1984), philosophe français, s'interrogeait sur le fait que des problèmes contre lesquels on se bat depuis une éternité pour les réduire, au contraire se maintiennent voire se renforcent. Ainsi, disait-il, de la prison, des hôpitaux psychiatriques, institutions mises en place pour résoudre des problèmes mais qui n'en font rien ou si peu, voire les aggravent. On pourrait ajouter l'échec scolaire ou le phénomène migratoire. Structurels, ces dits problèmes, par leur « développement durable » seraient inhérents à la société. Sauf bien sûr à considérer qu'ils sont des phénomènes naturels ou les effets d'une colère divine. Mais d'abord des phénomènes humains, produits par des êtres humains, ils sont à la portée de l'action humaine pour être sinon éliminés au moins réduits fortement. Or ils perdurent malgré les discours et les actions pour lutter contre.
Idem pour l'épidémie. Si elle a une origine biologique, elle est surtout un fait social et une production humaine. Et par sa répétition devenir structurelle. Ainsi, à partir du moment où une « crise » (je mets maintenant des guillemets) se répète comme les « crises » financières, économiques... on dira qu'elle est structurelle et devient paradoxalement vitale pour la société. Ainsi on ne peut pas supprimer le chômage, l'échec scolaire, les prisonniers, les fous, les migrants, les malades sans dommages pour ceux qui en vivent dans tous les domaines d'activité et sans perdre des points de PIB et de Croissance.
Ainsi l'épidémie, par sa régulière apparition, oblige la société à s'organiser en fonction d'elle. A vivre avec et presque grâce à elle. Les usines réorientent leur production, des chercheurs cherchent, des laboratoires pharmaceutiques prospèrent, on fait des conférences, on publie des livres. Des milliers d'emplois sont créés, les start-up fleurissent et rivalisent sur le Marché libre à concurrence non faussée. Les modes de vie changent. En temps de guerre on avait chez soi un masque à gaz prêt à l'emploi, désormais on a le masque anti-virus. Et un kit avec du gel, un auto-test dans l'armoire à pharmacie. Et une case de plus à cocher dans les contrats d'assurance. Grâce à l'épidémie, le PIB gagne des points, la Croissance revient. Le phénomène épidémique s'est installé dans la société et lui devient nécessaire. Tout en disant qu'il faut s'en débarrasser.
Le fait épidémique est un événement qui rompt la succession ennuyeuse des faits quotidiens. Elle est une occasion, un kaïros diraient les grecs d'autrefois dont on peut profiter. Une opportunité pour, soit rester dans la même logique économique délétère qui reconduit le Même avec ses destructions matérielles et humaines, soit pour entrer dans une nouvelle ère. Celle d'Après maintenant.... Ainsi irait le nouveau le monde !
Didier Martz, philosophe Le 25 Avril 2020 www.cyberphilo.org
« Ainsi va le monde » 406 Chroniques philosophiques de la vie ordinaire 2008/2018