Pour ceux qui sont partis, ceux qui sont restés, ceux qui ne se sont pas arrêtés, ceux encore pour qui rien ne commence ni ne finit. La représentation la plus courante et dominante des vacances est qu'elles sont le temps des départs et par conséquent des retours. Depuis le centre de Rosny sous Bois, « berger gardant le troupeau bêlant des routes » (comme dirait Apollinaire) ce grand moment est scandé d'heure en heure par les bulletins d'informations qui indiquent la progression lente mais volontaire des automobiles vers le soleil radieux et les temps d'attente impatiente dans les gares et les aérogares. Cette manière de voir les choses laisse entendre que toutes et tous, grands et petits, jeunes et vieux ou encore riches et pauvres sont obligatoirement en transhumance. D'ailleurs le parler ordinaire ne s'y trompe pas. Début Juillet c'est : « tu pars où en vacances ? », fin Août : « t'étais où en vacances ? » et gare à celui qui n'est pas parti et par conséquent pas revenu. Et il y aurait comme un parfum d'anormalité dans le fait de rester sur place et de ne pas être ailleurs. Et si avant de se décider à partir, on se demander pourquoi on part ? Ralph Waldo Emerson, essayiste et philosophe du XVIIIème siècle, nous fait réfléchir. Il écrit dans La confiance en soi, je cite : « … voyager est le paradis des sots. Nos premiers voyages nous révèlent combien les lieux sont indifférents. Chez moi je rêve qu’à Naples et à Rome, je pourrai m’enivrer de beauté et perdre ma tristesse. Je fais mes malles, dis au revoir à mes amis, embarque sur la mer, et enfin me réveille à Naples, et là, à mes côtés, se trouve l’austère réalité : le moi triste, implacable, celui-là même que j’avais fui ». Si nous partons pour nous retrouver c'est d'une part parce qu'on s'était perdu et si d'autre part nous ne faisons que retrouver ce que nous étions au départ alors autant rester chez soi : ce sera au moins plus économique ! Il n'est pas sûr que, contrairement à l'adage, « les voyages forment la jeunesse » ni quoi que ce soit d'autre d'ailleurs.
Et puis imagine, comme nous le propose un autre philosophe, Nietzsche en l'occurence, que « … un jour ou une nuit, un démon se glissait furtivement dans ta plus solitaire solitude et te disait : « Cette vie, telle que tu la vis et l’a vécue, il te faudra la vivre encore une fois et encore d’innombrables fois; et elle ne comportera rien de nouveau, au contraire, chaque douleur et chaque plaisir et chaque pensée et soupir et tout ce qu’il y a dans ta vie d’indiciblement petit et grand doit pour toi revenir, et tout suivant la même succession et le même enchaînement – et également cette araignée et ce clair de lune entre les arbres, et également cet instant et moi-même. Un éternel sablier de l’existence est sans cesse renversé, et toi avec lui, poussière des poussières ! »
C'est bien sûr un exercice de pensée mais imagine-toi, dans cet Eternel Retour des choses faisant et défaisant les valises, chargeant et déchargeant la voiture « d'innombrables fois » et pour l'Eternité et sans pouvoir rien y changer !
Et une dernière question plus conséquente pour clore cette rentrée, « si étant partis on se demandait pourquoi on revient ? »
Didier Martz Philosophe
31 Août 2018