« Mon nom est Personne » est le titre d'un western spaghetti de Tonio Valérii de 1973 mais bien avant cela c'est la référence au mauvais tour que joue Ulysse au cyclope en lui disant qu'il s'appelle « Personne ». On sait ce qu'il advint du cyclope pour l'avoir cru !
On s'en souvient peut-être, il y a quelques jours, un jeune Malien, migrant de son état et en situation illégale a trouvé le courage d'escalader les quatre étages d'un immeuble du 18e arrondissement de Paris pour sauver un enfant de quatre ans suspendu à la rambarde du balcon. « On s'en souvient peut-être... » disais-je. Le doute introduit quant à notre capacité à se souvenir de cet événement tient au fait que la société semble, comme le dit mon ami Michel Billé dans son livre au titre éponyme, atteinte de la maladie d'Alzheimer dont l'un des aspects le plus marquant est l'altération de la mémoire courte. Une des raisons tient à la mise en images des faits et leur diffusion massive sur les médias, classiques ou modernes, comme les réseaux dits sociaux. Mais surtout à leur remplacement quasi instantané par d'autres faits. Hier, Mamoudou Gassama, sauvait un enfant, demain sera un autre jour.
Aujourd'hui subsistent encore quelques-uns de ces nuages que le météorologue dit de traîne, nuages épars qui suivent la tempête et demain vite oubliée. Sans doute aurons-nous éprouvé quelqu'émotion pour l'enfant sauvé, la bravoure de ce jeune migrant et la récompense reçu des mains du président de la République puis nous passerons au suivant. Au passage, je pourrais souligner l'héroïsme et l'exemplarité de tous ces migrants qui au péril de leur vie traversent les mers et franchissent les montagnes et méritent sans doute bien des médailles et des récompenses mais ce ne sont que des hommes et des femmes après tout. Juste courageux.
Comme Mamoudou Gassama qui n'écouta que son courage. Et nous sommes presque par nature séduit et émerveillé par les gens courageux. Le courage est une qualité, et d'abord une qualité physique. Elle se manifeste par un geste, presqu'instinctivement, sans réfléchir, à un point tel qu'on dira du courage qu'il peut être aveugle, celui du téméraire et de l'intrépide. Le courage est une qualité physique mais aussi une qualité morale. Une « fermeté de cœur dit le dictionnaire, et une force d'âme qui se manifestent dans des situations difficiles obligeant à une décision, un choix ». Devant le danger ou la souffrance, il faut avoir du cran et du cœur. On est loin alors de la lâcheté et de la faiblesse reprochées à ceux qui n'interviennent pas, restent indifférent. Mais nous ne sommes pas courageux ou lâches une fois pour toutes : les situations vécues révèlent parfois des surprises et des gens surprenants. Mamoudou Gassama, modeste, en fait partie.
Mamoudou Gassama était appelé tantôt migrant, tantôt réfugié, tantôt sans-papiers. Il faisait partie d'un « flux » dont la « gestion » relevait d'une commission. Puis, gagnant en identité, il fut dénommé malien et même d'origine réunionnaise. Enfin il devint Mamadou Gassama. Grâce à son geste, tous les commentateurs de son exploit en vinrent à l'appeler par son nom : Mamoudou Gassama ! Il n'était personne, rien et il est devenu quelqu'un. Pour un peu on se serait pris à aimer tous les migrants et à clamer, comme pour Charlie, « nous sommes tous migrants ». Ainsi va le monde !
Didier Martz 29 Mai 2018 www.cyberphilo.org