Ainsi va le monde n°391 – L'esclavage moderne

Le progrès fait rage...

Aristote, le grand Aristote, philosophe, mais pas seulement, écrivit un ouvrage intitulé La Politique vers 335 avant Jésus-Christ et on doit aux arabes la sauvegarde de sa pensée. Aristote vit en Grèce, une société démocratique et esclavagiste. Une démocratie limitée aux citoyens, c'est-à-dire aux hommes en capacité de l'être, sont exclus les femmes et les esclaves. Elle est encore pour nous un modèle et souvent nous y faisons référence. Une démocratie limitée à quelques-uns est en effet plus confortable et praticable. Mais pour Aristote et ses compagnons grecs, elle était justifiée à la fois pour des raisons économiques et des raisons culturelles. La philosophie du moment apportait également son concours à cette entreprise de justification. Voici comment et écoutons Aristote.

« D'abord, l'être vivant est composé d'une âme et d'un corps, faits naturellement l'une pour commander, l'autre pour obéir ... Il en est de même entre l'homme et le reste des animaux : les animaux domestiques valent naturellement mieux que les animaux sauvages ; et c'est pour eux un grand avantage, dans l'intérêt même de leur sûreté, d'être soumis à l'homme car leur conservation est assurée. D'autre part, le rapport des sexes est analogue. Dans les rapports du mâle et de la femelle l'un est supérieur à l'autre : celui-là est fait pour commander, et celle-ci, pour obéir.



C'est là aussi la loi générale qui doit nécessairement régner entre les hommes. Quand on est inférieur à ses semblables autant que le corps l'est à l'âme, la brute à l'homme, et c'est la condition de tous ceux chez qui l'emploi des forces corporelles est le seul et le meilleur parti à tirer de leur être, on est esclave par nature. Pour ces hommes-là, ainsi que pour les autres êtres dont nous venons de parler, le mieux est de se soumettre à l'autorité du maître ; car est esclave par nature, celui qui peut se donner à un autre ; et ce qui précisément le donne à un autre, c'est qu'il ne peut comprendre que si on lui explique; mais il ne possède pas la raison par lui-même. Les autres animaux ne peuvent pas même comprendre la raison, et ils obéissent aveuglément à leurs impressions. Au reste, l'utilité des animaux domestiques et celle des esclaves sont à peu près les mêmes : les uns comme les autres nous aident, par le secours de leurs forces corporelles, à satisfaire les besoins de l'existence. La nature même le veut, puisqu'elle fait les corps des hommes libres différents de ceux des esclaves, donnant à ceux-ci la vigueur nécessaire dans les gros ouvrages de la société, rendant au contraire ceux-là, les hommes libres, incapables de courber leur droite stature à ces rudes labeurs, et les destinant seulement aux fonctions de la vie civile... »

Ce discours nous ferait bondir s'il n'était pas replacé dans son contexte et fort heureusement nous avons su depuis, malgré le Code Noir de Napoléon et toutes les résistances, abolir l'esclavage. Mais Aristote n'en démord pas et 2500 années après, il est revenu prêcher sa bonne parole quelque part en Lybie où pour une poignée de dollars on achète de la « force corporelle » pour qu'elle puisse « satisfaire aux besoins de nos existences », « incapables que nous sommes à courber notre droite stature aux rudes labeurs ». Mais c'est en Lybie. Nos sociétés modernes ont fait des hommes et des femmes, des hommes et des femmes libres, libres de vendre leur force de travail quelque fois pour trois fois rien. Mais trois fois rien c'est déjà beaucoup ! Ainsi va le monde !

Didier Martz, essayiste Mercredi 29 Novembre 2017

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