Le Café-philo d’aujourd’hui a une saveur spéciale car il retrouve le lieu où il se déroulait il y a 15 ans sous l’enseigne d’Henri IV. Le bar rebaptisé les « Trois p’tits bouchons » nous accueille avec un public toujours très motivé. Mais nous avons aussi un déroulement enrichi par la présence de François Schmidt auteur d’un livre de dessins et de textes consacrés aux îles, ainsi que par Catherine Pierrejean venue nous faire partager un conte également consacré aux aventures dans les îles. Le thème du jour est l’insularité, à propos de laquelle on demande si on peut dissocier comme on le fait parfois l’île comme lieu paradisiaque, protégé de toutes les agressions du monde extérieur (au point que les principales utopies y ont été imaginées) de l’île comme lieu d’isolement comparable à l’Ile du Diable du temps où Dreyfus y fut reclus. Le débat est ponctué par les lectures de François Schmitt dont les intuitions viennent comme des flashes ouvrir notre imagination et développer l’ambivalence de l’insularité qu’on perçoit à travers ses textes.
1 - Au cours du débat, de nombreuses ouvertures sur le sujet sont proposées. On souligne d’abord que c’est l’imagination qui est prioritairement sollicitée par l’insularité. C’est ainsi que, perçue comme un environnement limité et restreint, l’île apparait parfois comme un être spécifique, un personnage, voire même un corps (on rappelle comment, dans le texte cité par la Feuille du Café-Philo, le naufragé de Michel Tournier s’unit charnellement au sol de Sperenza, l’île déserte où il a échoué). De toute façon dans l’imaginaire des hommes l’île est un territoire à leur échelle, et elle ne se fond jamais dans un être collectif. 2 - On se demande ensuite s’il existe vraiment cet isolement insulaire où l’individu peut sentir toutes les facettes de sa personnalité se développer sans contrainte (comme l’homme libre dont Schopenhauer célèbre la solitude) ? A l’époque d’Internet et du Marché mondial, des réseaux sociaux et des modes qui se propagent d’un bout à l’autre de la planète, l’insularité peut-elle être autre chose qu’une illusion ? Aucun homme n’est une île dit John Donne (dans son poème de 1624 cité dans la Feuille) évoquant les solidarités qui unissent les hommes dans l’humanité entière, lançant même un avertissement à ses futurs concitoyens qui s’apprêtent à voter la sortie de l’Europe afin de refaire de l’Angleterre une île. 3 - Mais on peut aussi considérer l’île comme un lieu où les hommes peuvent s’isoler pour résister au nivellement infligé par le monde moderne, à la banalisation, à la mondialisation. L’île est vue alors comme une métaphore de certaines situations subies ou recherchées. – La cellule qui comme une île isole le moine dans son dénuement de créature face à Dieu ; – La matrice, dans la quelle l’enfant est généré, est retrouvée dans l’île où des adultes cherchent à se régénérer. On rappellera alors la référence (cf. ci-dessus) au Robinson de Tournier. – On rêve aussi de s’embarquer pour Cythère l’île mythique où naquit Aphrodite et considérée pour cela comme un lieu dédié aux amours et à leurs délices.
Pour finir, le conte de Catherine Pierrejean nous offre en conclusion l’histoire d’une île qui piège des vaisseaux imprudents venus y accoster sans se soucier de revenir à leur port d’attache : l’île n’est un piège que si elle forme un lieu coupé du continent avec lequel elle doit former un indispensable tout dynamique et enrichissant.
On se sépare à 19 heures en se donnant rendez-vous le 28 octobre Compte-rendu Jean-Pierre Hamel