Ainsi va le monde n° 338 – Burkini et liberté d'indifférence

Le problème n'est pas au niveau de ce qu'il faut ou ne faut pas penser mais au niveau de ce à quoi nous devons penser...

Je ne voulais pas parler du burkini mais j'y suis contraint. Et même si je ne le voulais pas, je serais obligé d'en entendre parler. Néanmoins, manifestant par là la force de ma volonté et la liberté du sujet que je suis, je n'en parlerai pas. Je m'interrogerai cependant sur la possibilité qui nous est laissée d'être indifférent. Mais se dire indifférent signifie déjà avoir perçu l'objet de cette indifférence. Dire que le burkini ne m'intéresse pas ou que je n'ai pas d'avis indique déjà que je suis pris dans la nasse et qu'il est entré dans ma pensée.

Pour le philosophe, la liberté d'indifférence désigne la capacité d'un individu à faire ou ne pas faire une action, indifféremment, ou encore à choisir n'importe laquelle des possibilités qui se présentent à lui, en toute indifférence. Il signalerait par là qu'il est totalement libre puisqu'il n'est déterminé par aucun motif. « Cela m'est égal » est l'expression qui signifie le mieux cette attitude. « L'un ou l'autre », « la poire ou le fromage », peu importe.

D'une manière générale, bon nombre de choses ne nous concernent pas. Nous y sommes insensibles et sommes tellement détachés que des choses pouvant paraître importantes n'entrent même pas dans notre champ de vision; ou bien, nous avons tellement l'habitude de les voir que leur présence devient une absence. Ainsi de cette chose qu'on appelle un homme qui tous les jours tend la main à la porte de la boulangerie. Il fait partie du paysage urbain, du mobilier urbain. La différence devient une indifférence, une indistinction, une banalité. On mesure les effets pernicieux de ces deux attitudes qu'on jugera moralement condamnable.

Dans un autre sens, un droit à l'indifférence pourrait être revendiqué, un droit entendu comme possibilité pour un individu de ne pas avoir d'avis sur une question, de devoir prendre partie. L'espace mental est saturé d'injonctions à s'exprimer sur tel ou tel sujet. C'est le cas du burkini. Entre « être pour », « contre », « entre les deux », « sans avis »... dans tous les cas, chacun est sommé de prendre position. Pas d'échappatoire possible, contre votre gré et à votre insu, rentre dans le psychisme ce qui aurait pu rester inaperçu. Même dire « cette histoire de burkini ne me concerne pas » indique déjà que vous êtes concerné. Cette revendication d'indifférence suppose que le dit burkini est entré dans votre conscience. On ne peut être indifférent qu'à ce qui a déjà était perçu comme différent !

Voilà bien l'enjeu d'une époque saturée d'informations plus ou moins futiles qui rendent impossible le retrait et le silence. Qu'on s'entende bien. Il ne s'agit pas là de la possibilité qui est offerte à chacun de pouvoir s'exprimer et d'avoir un avis sur toutes choses. Non, c'est en amont qu'il faut aller, là où se déterminent les sujets qui s'imposeront à notre conscience et détermineront notre vision du monde jusqu'à nous faire oublier les lunettes que l'on porte. Le problème n'est pas au niveau de ce qu'il faut ou ne faut pas penser mais au niveau de ce à quoi nous devons penser. Ainsi va le monde ! Le 6 septembre 2016.

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