Ainsi va le monde n° 335 - 20 ans de philosophie au comptoir

Parce que les lieux où l'on cause et réfléchit se font rares, parce que trop se passe à séparer les individus les uns des autres et à ne les réunir que dans des lieux propices à l'achat de biens de consommation, j'ai crée en 1996, avec quelques amis, le café de philosophie à Reims. Ce samedi 25 juin 2016, il aura 20 ans.

Depuis 20 ans le Café de Philosophie rémois se déroule de 17 à 19 heures dans différents bars de la ville. Le samedi. Depuis 20 ans, une fois par mois environ, 20 à 30 personnes, parfois plus, parfois moins, se réunissent pour discuter, échanger à partir d'un thème. Il s'agit de l'amour, de la fidélité, de la morale, de l'éducation, du terrorisme, du travail, de la religion, du secret, de la générosité et de la société comme elle va... Et pour tous ces sujets, il n'a pas fallu moins de 250 rencontres et quelques 6000 contributions, d'opinions échangées, de réflexions sans jamais en venir à bout ! Tout ça pour quoi alors ? Parce que c'est cela philosopher. Subtiliser deux heures de son temps pour penser à la vie et au monde comme il va, penser la vie, penser le monde.

Contre les détracteurs qui se sont empressés de la baptiser « philosophie de comptoir » sans trop savoir eux-mêmes ce qu'est la philosophie, ici, au café, on philosophe. Comme Socrate et ses compagnons le faisaient en Grèce il y a quelques 2400 ans, ici on questionne, on échange, on s'écoute ; et on soumet à la question quelques évidences... bref on fait ses premiers pas en philosophie. De temps à autre, un philosophe réputé tel vient se mêler de la discussion et y met son grain de sel en essuyant parfois quelques revers.

Et comme Socrate et ses compagnons ne se privaient pas de boissons et de bons mots, le café de philosophie est aussi un lieu convivial, on y retrouve l'esprit café avec ses bruits de verre, de percolateur et le bruissement des bavardages. Autour d'un verre, le verbe s'entremêle.

Madame X arrive toujours à 16 h 30. A l’avance. C’est elle qui réserve la table pour ses amies. Toujours la même et toujours les mêmes. Les habitués, les nouveaux... on se met là où il y a de la place, les inconnus deviennent des connaissances. Madame X et ses amies n’interviennent jamais ou rarement mais elles repartent toujours passionnées. On ne sait pas toujours à quoi sert le silence. Enfin le silence des uns va faire le bonheur des autres, surtout de celui-là. Côtier qu’il s’appelle. Il intervient tout le temps. Assez brillant intellectuellement. C’est intéressant mais il ne faudrait pas qu’il prenne d’autres paroles. Celle de la voisine, par exemple. Elle est commerçante. Elle aime bien dire son mot. Un mot sur la vie de tous les jours. Sur sa vie. Elle pense que les gens sont aimables.

Aimables ? C’est-à-dire qu’on peut aimer ? Jean, pense qu’être aimable, c’est être poli. Ce n’est pas la même chose. Le psychanalyste qui est venu aujourd’hui pour ce thème, l’Amour, explique ce qu’en pensait Freud : l’inconscient, le désir, la reconnaissance… D’autres mots, une autre façon de dire « aimable ». Il est riche ce matériau apporté par les uns et les autres, chacun à sa manière. La discussion s’engage. Un bavardage qui devient parole. Les mots tentent de devenir des concepts philosophiques. Ainsi va le monde ! Le mercredi 22 juin 2016.

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